Skip to main content

La réalité animalière édulcorée par la publicité est-elle juridiquement justifiée ? Une vache qui rit, des sardines que l’on présente comme « généreuses », un jambon qui aurait reçu une bonne « éducation », des poulets en fête, des steaks de viande sourire aux lèvres, l’intimité recréée entre une chèvre et son chevreau pour promouvoir un produit laitier industriel, la question m’est posée de savoir si tout est permis.

La réponse est non. Il faut toutefois reconnaître qu’en matière de publicité de produits animal, il existe un espace de liberté de communication important.

Parmi les raisons qui l’expliquent, il y a d’abord celle du statut juridique de l’animal. Bien qu’il ait le privilège d’avoir été érigé au rang des « être vivants doués de sensibilité » en février 2015 (Article 515-14 Code civil), l’animal demeure juridiquement soumis au régime des « biens », biens dont on peut se « servir » (Article 1385 Code civil), et ce depuis plus de 325 ans (c’est en effet en 1791 que l’Assemblée législative vote une première loi pour défendre l’animal non pour lui-même, mais comme propriété des hommes), d’où la difficulté d’initier toute restriction juridique à la publicité au nom d’une certaine idée de la protection animale.

Il n’existe par ailleurs aucune disposition légale, règlementaire ou même déontologique traitant spécialement de la publicité de produits animal. L’auteur de ces lignes a du reste particulièrement peiné pour trouver la moindre contribution doctrinale ou décision de justice rendue en la matière, alors qu’il existe évidemment des centaines sinon des milliers de décisions ou contributions sur le sujet de la publicité. La liberté créative du publicitaire repose, pour sa part, sur les droits de communiquer, de s’exprimer et de faire du commerce, des droits fondamentaux qui sont par nature prééminents. Ce dernier est libre du choix de présentation esthétique du produit, et ce nonobstant l’étiquetage des informations scientifiques obligatoires.

Le publicitaire demeure quoi qu’il en soit soumis aux règles qui imposent la diffusion d’une publicité loyale, en particulier celles qui encadrent l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses définies à l’article L121-1 du Code de la consommation (ici).

Une pratique commerciale est trompeuse au sens de la loi lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : « a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ; b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ; c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ; d) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ; e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ; f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ; g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ; ».

Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.

Il existe en somme dans la loi deux sortes de publicités trompeuses : celles qui trompent par action (en présentant faussement un produit), celles qui trompent par dissimulation (en omettant de signaler un élément essentiel du produit).

Cette même distinction est reprise par le Code des usages applicables en matière de publicité et de marketing (Code des pratiques de publicité et de communication de la Chambre de Commerce internationale – ici) en particulier par ses articles 1, 3 et 5 : « toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique (…) » (Article 1), « La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs » (Article 3), « La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse. La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur (…) » (Article 5).

Ces principes de base sont-ils globalement respectés par les publicitaires ?

A en croire l’absence de condamnations judiciaires sur le sujet, on peut penser que oui. Cela dit, on ne retrouve aucune décision judiciaire sur le sujet. Seule une décision du Jury de déontologie publicitaire a été repérée (Décision « Gers Foie Gras – Affichage » 21 novembre 2012 rendue sur le fondement du Code des pratiques précité, un code dont on sait qu’il n’a aucune force contraignante devant les tribunaux).

Cette décision concerne une publicité pour le foie gras intitulée « Les canards heureux GERS » (Publicité litigieuse : ici). Il était reproché à l’annonceur d’avoir manqué à la loyauté en utilisant le qualificatif « heureux » à l’endroit d’un canard qui suit dans la réalité un traitement par gavage.

Le Jury de déontologie a rejeté la plainte (décision ici) pour deux motifs. Le jury relève : (i) qu’il existe actuellement une controverse scientifique sur l’incidence exacte de la technique du gavage sur la souffrance animale, indépendamment des pathologies et complications pouvant résulter d’une pratique abusive ou déviante (ii) que si le terme « heureux », utilisé par cette publicité, se rapporte essentiellement à la psychologie humaine et est d’un « maniement malaisé » s’agissant des animaux, il apparaît dépourvu de prétention scientifique propre, observant au surplus que :

« cette expression [heureux], au sein d’une publicité qui valorise un mode de production traditionnel du foie gras, ne vise pas à dissimuler la réalité du recours au gavage, mais, en écho à la photographie champêtre qu’elle comporte en arrière-plan et au logo « Canard à foie gras du Sud-Ouest », se rapporte plutôt aux conditions particulières d’élevage des canards en cause telles qu’elles résultent du cahier des charges de l’indication géographique protégée « Canard à foie gras du Sud-Ouest » »

La décision nous enseigne que faire de l’humour avec l’animal, jouer sur les mots, le personnifier pour le placer en situation improbable, et même lui prêter des sentiments inappropriés n’est pas en soi fautif. La publicité peut être emphatique, humoristique, dithyrambique, hyperbolique, parodique, sans pour autant s’avérer trompeuse, ce droit à « l’excès » de la publicité étant du reste régulièrement rappelé par les Tribunaux. On peut citer ainsi un arrêt de la cour d’appel de Paris qui résume assez bien la position de la jurisprudence en ce domaine :

« La publicité attractive se traduit fréquemment par un certain usage de la fantaisie, de l’hyperbole et manifestation de l’esprit. Cette évolution a nécessairement pour conséquence de faire reculer les limites du délit de publicité mensongère, dans la mesure où l’hyperbole publicitaire, dont l’observation quotidienne fournit de multiples exemples, ne peut par son outrance et exagération finalement tromper personne. On ne saurait par ailleurs scléroser la création publicitaire en prohibant la parodie ou l’emphase » (CA Paris, 12 avril 1983).

Si cette motivation répond du souci louable de défendre la liberté d’expression, on ne peut cependant nier que la publicité s’adresse, en particulier sur Internet et les réseaux sociaux, à un public de plus en plus jeune, que le jeune public n’a pas nécessairement toute la capacité pour faire la part des choses entre ce qui est hyperbolique et ce qui relève de la réalité qu’il n’a d’ailleurs parfois pas vue, ni vécue (pour ce qui concerne la réalité de la vie animale). L’hyperbole de la publicité n’exclut donc pas d’elle-même, selon nous, son caractère potentiellement trompeur.

Autre enseignement de la décision : le caractère trompeur de la publicité d’un produit animal s’apprécie au regard de la diffusion d’informations scientifiques fausses sur le produit. La publicité devient autrement dit déloyale dès lors qu’elle véhicule des informations scientifiques sur un produit qui ne sont pas vérifiables (qu’il s’agisse de l’origine du produit, de ses qualités nutritionnelles, ou autres), l’animal restant finalement assez étranger au débat.

Le produit animal est en somme traité comme tout autre produit de consommation et il n’y a rien dans la loi qui imposerait au publicitaire de voir les choses autrement, c’est-à-dire de prendre en compte la vérité de la vie animale au même titre que celle du produit vendu.

Nous pourrions imaginer de changer les choses. Il n’y aurait en effet rien d’aberrant à introduire un cadre juridique à la création publicitaire de produits animal à raison du fait que l’animal est devenu un être « sensible ». Mais ce cadre serait-il pour autant valable eu égard à la prééminence internationale de la liberté d’expression ? Nous pourrions également imaginer de reconnaître à l’animal « un droit à la dignité » dont la défense serait confiée au Ministère de l’environnement (le Ministère de la culture est bien responsable du droit moral d’auteurs d’œuvres de l’esprit sans successeurs…). Ce droit à la dignité ne serait pas seulement un symbole. Il pourrait être en pratique un outil d’équilibre et de raison qui, plutôt que de bouleverser par voie règlementaire le secteur publicitaire de l’alimentation, veillerait à initier avec le temps de nouvelles pratiques publicitaires, des pratiques soucieuses d’un équilibre inattendu et pourtant essentiel entre un produit et la vie ■

……………….

Boris Khalvadjian interviendra sur le sujet des pratiques commerciales trompeuses et des droits de l’animal lors de l’évènement « Les Bêtes noires de la pub » organisé le 24 juin 2016 à la Maison des vétérinaires (Paris 11e). Cet évènement est organisé par un collectif d’associations de protection animale : Animal Cross, L214, One Voice, OABA, Animalter, Combactive, Alliance anticorrida, CNSPA, Sentience, Cali, PEA, Humanimo, Graal, Code animal, Avès. Seront également présents de nombreux humoristes : Willy Rovelli , Raphaël Mezrahi, Anne-Sophie La Bajon, Christine Berrou, Sony Chan, Jérôme Daran, Giédré, Guillaume Pot, Marion Séclin et Vérino (pour plus de renseignements, cliquez ici)