Le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.
Dit autrement, il est possible d’invoquer simultanément, dans une même instance, un fait A conduisant à un préjudice A sur le fondement de la responsabilité contractuelle et un fait B conduisant à un préjudice B sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ce qui est désormais parfaitement constant en jurisprudence en matière de rupture brutale des relations commerciales établies.
Cass. Com. 10 avril 2019, n°18-12.882
« Qu’en statuant ainsi, alors que le principe de non-cumul interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais du fait distinct qu’est la rupture brutale d’une relation commerciale établie, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
Cass. Com. 27 mars 2019, n°16-24630
« Attendu que pour dire irrecevables les demandes de la société Basile aux titres de l’année 2010 et du préavis de rupture, après avoir relevé que la société Basile poursuivait la réparation de son préjudice au titre de l’Insuffisance du chiffre d’affaires réalisé en 2010 ainsi que l’indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, l’arrêt retient qu’une partie ne peut, à peine d’irrecevabilité, fonder ses demandes sur un cumul des actions contractuelle et délictuelle à raison d’un même fait et que le préavis de rupture ayant commencé à courir le 15 novembre 2010, la société Basile ne saurait, en application du principe de non-cumul des actions contractuelle et délictuelle, solliciter au titre tant de l’année 2010 que de la période postérieure, la réparation de son préjudice tout à la fois en application des stipulations du contrat et sur le fondement délictuel ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le principe du non-cumul interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
Cass. Com. 10 octobre 2018, n°17-11.543
« Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire présentée au titre de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, l’arrêt retient que l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce institue une responsabilité de nature délictuelle et en déduit qu’en raison du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, la société CRG, qui a agi sur le terrain de la responsabilité contractuelle, et dont les demandes ont été partiellement accueillies, ne peut former une demande indemnitaire fondée sur la responsabilité délictuelle à raison des mêmes faits, à savoir le refus d’attribution d’un stand en 2010 ;
Qu’en statuant ainsi, alors que ce principe interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
CA Paris, 5 septembre 2019, n°17/01506
« Toutefois il y a lieu de relever que la demande de réparation fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, de nature délictuelle, tend à la réparation d’un préjudice résultant de la rupture brutale d’une relation commerciale établie tandis que la demande de réparation en responsabilité contractuelle tend à la réparation d’un préjudice résultant d’un manquement contractuel. Ces deux actions ont donc un objet distinct et il est loisible à la société Seafoodia de choisir le fondement qu’elle estime adéquat pour voir prospérer sa demande d’indemnisation, voire même d’invoquer les deux fondements sans se voir opposer le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle dès lors que les demandes reposent sur des faits distincts ou tendent à la réparation de préjudices distincts ».
C’est ce qui explique qu’à la suite d’arrêts constants de la Cour de Cassation, la Cour d’appel de Paris réaffirme régulièrement depuis 2021 le droit pour le demandeur, victime de la rupture d’un contrat de distribution et d’une relation d’affaires établie, de former :
- une demande financière fondée sur l’article L442-1 II du Code de commerce pour rupture brutale des relations commerciales établies à raison d’un préavis insuffisant laissé au partenaire victime de la rupture pour se réorganiser, et
- une demande financière fondée sur la responsabilité contractuelle pour perte de chance de poursuivre le contrat de distribution et d’en retirer les bénéfices escomptés, cette perte de chance consistant dans une perte de marge brute sur les années de contrat légitimement attendues par le cocontractant victime de la rupture.
CA Paris, 17 mars 2021, n°17/22069
« Le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.
Autrement dit, les sociétés appelantes peuvent cumuler avec leurs demandes en indemnisation d’une insuffisance de préavis fondées sur la rupture brutale des relations commerciales établies en se prévalant de la responsabilité délictuelle, leurs demandes fondées sur le grief distinct de la rupture abusive des contrats de prestations logistiques en réparation d’un préjudice de perte de chance de poursuite de ces contrats en se prévalant de la responsabilité contractuelle ».
CA Paris, 10 février 2022, RG n°19/00728
« Le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5 du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie,
Au titre de la rupture brutale, elle sollicite l’allocation de dommages intérêts indemnisant l’insuffisance de préavis qui lui a été accordé ; au titre de l’inexécution contractuelle, elle demande le remboursement des investissements en personnel et en matériel qu’elle a dû réaliser en raison des variations inopinées du volume des commandes de la société Hutchinson et des dommages-intérêts équivalent au gain manqué lié à l’absence d’exécution du contrat jusqu’en 2018.
La société Imateg 93 forme sur trois fondements juridiques différents des demandes de dommages et intérêts de nature distincte. Les demandes de la société Imateg 93 sont toutes recevables ce qui ne préjuge pas de leur bien fondé. »
CA Paris, 15 février 2023, n°20/18699
« Le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.
La société SoluStil présente bien une demande indemnitaire fondée sur l’article L.44-2, I, 5° dans sa version applicable au litige en ce qu’elle poursuit l’indemnisation du caractère brutal d’une rupture d’une relation commerciale nouée entre les parties. Quand bien même le préjudice allégué à ce titre est évalué à partir de gains manqués sur une période de préavis jugée insuffisante, cette demande est bien distincte de celle formulée au titre de la rupture anticipée du contrat visant à réparer la perte de marge escomptée pendant la durée du contrat conclu à durée déterminée.
Dès lors, la fin de non-recevoir tirée du principe de non-cumul entre les responsabilités contractuelle et délictuelle sera rejetée. »