Sous couvert de « précarité », certains bailleurs multiplient les conventions temporaires pour contourner le statut protecteur des baux commerciaux. Mais la jurisprudence est constante : lorsqu’une telle manœuvre vise à priver le locataire de ses droits, la fraude corrompt tout. Les tribunaux requalifient alors la convention en bail commercial, avec toutes les conséquences attachées à ce statut.
La convention d’occupation précaire, une exception strictement encadrée
La convention d’occupation précaire permet, dans certaines circonstances exceptionnelles, d’autoriser temporairement l’occupation d’un local sans créer de bail commercial. Encore faut-il que la précarité soit réelle et objective, et non simplement voulue par les parties.
La Cour de cassation le rappelle depuis longtemps :
« La convention d’occupation précaire se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme est marqué par d’autres causes que la seule volonté des parties. » (Cass. 3e civ., 19 nov. 2003, n° 02-15.887).
Quand la précarité devient fraude : le bailleur perd tout
Lorsqu’un bailleur recourt abusivement à plusieurs conventions précaires successives pour maintenir un commerçant dans l’incertitude, la fraude est caractérisée. Et la sanction est claire : le contrat est requalifié en bail commercial.
Ainsi :
– Dans l’affaire Coco Cadeaux (Cass. 3e civ., 1er avr. 2009, n° 07-21.833), six conventions d’occupation précaire avaient été signées pour un même local. La Cour a jugé qu’elles avaient été conclues pour faire échec aux dispositions impératives du statut des baux commerciaux. Le bailleur ne pouvait plus se prévaloir d’aucune clause issue d’une convention frauduleuse, car la fraude corrompt tout.
– Même sévérité dans l’arrêt Société Jasmin (Cass. 3e civ., 8 avr. 2010, n° 08-70.338), où la bailleresse avait inséré un prête-nom entre deux baux dérogatoires pour contourner la loi.
La renonciation du locataire devient inopérante
Un bailleur ne peut invoquer la renonciation du locataire au statut si celle-ci a été obtenue dans un contexte de fraude ou de dépendance économique. Dans l’affaire Cass. 3e civ., 6 oct. 2016, n° 15-18.033, le bailleur avait volontairement placé son locataire dans une situation de précarité (refus de quittances, absence de décompte de taxes foncières) pour le pousser à signer de nouveaux baux dérogatoires. La Cour a confirmé la fraude et reconnu au locataire le bénéfice d’un bail commercial de neuf ans.
Les indices de fraude retenus par les juges
Les juridictions relèvent souvent les mêmes éléments pour identifier un détournement frauduleux :
– succession de conventions identiques sur les mêmes locaux et pour la même activité (CA Aix-en-Provence, 13 sept. 2007) ;
– interposition de personnes (prête-nom, société liée) pour rompre artificiellement la continuité du bail ;
– refus du bailleur de délivrer quittances ou d’établir un bail commercial (Cass. 3e civ., 6 oct. 2016) ;
– absence totale de cause objective de précarité (Cass. 3e civ., 7 juill. 2015, n° 14-11.644).
Les effets de la fraude
Les conséquences juridiques sont lourdes pour le bailleur :
1. Requalification du contrat en bail commercial à compter de la première occupation continue.
2. Inopposabilité des clauses frauduleuses, notamment la renonciation au statut ou les limitations au droit de cession.
3. Éventuelle condamnation à des dommages-intérêts pour préjudice moral ou financier du locataire.
Conseils pratiques
Pour le bailleur, l’usage d’une convention d’occupation précaire n’est légitime que si :
– une circonstance objective empêche la conclusion d’un bail commercial (chantier, autorisation, projet immobilier) ;
– la durée est réellement temporaire ;
– la situation de fait correspond à la précarité invoquée.
Pour le locataire, il faut :
– surveiller la continuité d’occupation et d’activité ;
– vérifier qu’aucune cause réelle de précarité n’existe ;
– ne pas signer de renonciation au statut sans conseil juridique préalable.
En conclusion
La Cour de cassation le répète : la fraude corrompt tout. Lorsqu’une convention est utilisée pour éluder les droits d’un commerçant, elle est réputée non écrite, et le bail commercial renaît de plein droit, malgré le masque de la précarité.
Les enjeux financiers et juridiques d’une telle requalification sont considérables : droit au renouvellement, indemnité d’éviction, charges récupérables… Avant de signer ou de contester une convention d’occupation précaire, il est fortement recommandé de consulter un avocat spécialisé.
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